Jean-Yves Leuranguer - Le Diane, Fouquet's Barrière - Paris

La cuisine sur grand écran

« IL N'Y A PAS DE SECRET, TOUT EST DANS LA RIGUEUR »

Fils d’un cuisinier de la marine marchande, Jean-Yves naît à Paimpol, dans les Côtes d’Armor. Sa vocation est précoce : très jeune, l’odeur du pain l’ensorcelle, à tel qu’à tout juste six ans, il apporte à sa maîtresse d’école des petits pains confectionnés par ses soins. « C’était du plomb, avec une épouvantable odeur de levure. Personne n’en voulait, sauf les oiseaux dans la cour de récréation ! Alors je me suis tourné vers les tartes et les pâtes à choux. » Pas découragé pour autant, le jeune Jean-Yves apprend auprès de son père les rudiments du métier : « Au début, je coupais plus souvent mes doigts que les tomates. Qu’importe ! J’étais en admiration devant la précision des gestes de mon père et sa dextérité. Tout ce qu’il réalisait était magnifiquement présenté dans les détails les plus infimes. La turbotière en cuivre était parfaitement astiquée, le moindre brin de persil à sa place. Je cherchais son secret quand mon père me dit : « Il n’y a pas de secret, tout est dans la rigueur. » Une phrase qu’il n’a jamais oublié, et qui pourrait résumer son quotidien de chef de l’un des plus grands restaurants parisiens, à la renommée mondiale…

 

C’est à la Foire de Saint-Brieuc que sa vocation lui apparaît pour de bon, devant le stand de l’Ecole hôtelière. Mais son père, qui veut le prévenir contre la dureté du métier, exige de lui qu’il fasse une saison au « Chardon bleu », sur l’île de Bréhat

 

 

 
Un souvenir aujourd’hui comique lui revient : « Je n’ai fait que des frites et des moules. Jusqu’au jour où l’on m’a demandé de me lancer dans les œufs durs. Le désastre ! Ne sachant pas les cuire et trop timide pour le demander, je me suis exécuté. Résultat : quand le client a cassé son œuf, tout a dégouliné sur le comptoir… »

 

Il entre au collège d’enseignement rural de Plésidy et se plie alors à la rigueur de son professeur, Robert Jalin, bon pédagogue, et enseignant inflexible. A 17 ans, il est stagiaire au poste cuisson des poissons et des fruits de mer à L’Hôtel de la Marine, à Pontrieux. Il obtient son BEP haut-la-main à Saint-Brieuc, puis cap sur la Haute-Savoie, à l’Hôtel du Nerey, à Saint-Gervais-les-bains. Pour ce Breton, c’est la découverte de la cuisine au fromage. « J’y étais pour la saison, quand le chef, Georges Moisset, a insisté pour que je reste. C’est lui qui, ancien finaliste du Meilleur ouvrier de France, m’a inoculé le virus des concours, tout en prenant le temps de nous apprendre les bases du métier ; je me souviens qu’il faisait une sauce tomate à l’ancienne, dans une casserole bardée de couenne. Je n’avais jamais rien vu de pareil ! »

 

Une ambiance de maison bourgeoise qui contraste avec le Concorde Lafayette, où il entre ensuite en tant que commis, mais gravit rapidement les échelons : il en part chef de partie saucier, saisissant l’opportunité d’être second de cuisine au Sofitel Océania de Brest.

 

Puis c’est le beau temps, et des illusions de vacances plein la tête : le voilà chef de partie à La Palme d’or, le restaurant de l’Hôtel Martinez à Cannes, créé par Christian Willer. L’atterrissage est rude : « Je me suis dit en arrivant « à moi le farniente ! ». Et là, c’est la douche écossaise. Je m’aperçois que je ne connais rien et que jusqu’à présent, je n’avais vécu qu’une ébauche de la rigueur. La méthodologie de Christian Willer était particulière : tout était autonome. Le room-service devait offrir la même qualité que le gastronomique. Il voyait tout, savait tout, entendait tout. De loin, c’est le plus grand chef de palace qu’il m’aura été donné de connaître avec Jean-Marie Gauthier, sous-chef de la Palme d’or avant de devenir chef de l’Hôtel du Palais, à Biarritz. »

 

C’est précisément Jean-Marie Gauthier qui l’accompagne dans sa réussite rythmée au concours du Meilleur ouvrier de France : « On faisait tout par téléphone. On parlait, je notais. J’étais tellement obsédé par ce concours que je ne dormais plus. Je n’avais plus que la progression de la recette dans ma tête, les gestes, les ustensiles. Il s’agissait d’un soufflé aux endives. L’une des astuces consistait à les passer à la centrifugeuse et à les réduire pour obtenir un parfum très concentré et une bonne tenue. »

 

En 1996, devenu Meilleur Ouvrier de France, Jean-Yves Leuranguer devient chef-adjoint des cuisines de l’Hôtel Martinez. Le cinéma, déjà dans l’assiette ! Six ans plus tard, c’est le légendaire restaurant Fouquet’s qui l’appelle pour devenir chef des cuisines. Devenu palace en 2006, l’établissement légendaire emploi une brigade de 60 cuisiniers, et 17 pâtissiers, pour servir plus de 1000 couverts par jour.

 

Le chef tient la tête de cette véritable armée avec modestie et gentillesse : « J’ai aujourd’hui réalisé le rêve de ma vie. Encore fallait-il, pour que ce cadeau sans prix me soit donné, que je rencontre les bonnes personnes, j’entends par là celles qui m’ont inculqué la rigueur, le travail d’équipe et l’écoute des autres. Un gamin qui ne sait pas faire cuire un œuf dur et qui n’ose pas demander comment faire, c’est à nous de le deviner. C’est aussi notre devoir. On ne peut pas non plus dire à un cuisinier qu’il manque ci ou ça dans son plat, sans prendre la peine de goûter et d’analyser avec lui ce qui coince. En fait, je ressens le devoir de transmettre, dans les règles, ce que l’on m’a enseigné. »

 

C’est aussi la raison pour laquelle « Breton le bon vouloir » (son nom de compagnonnage) donne régulièrement des cours à l’école hôtelière d’Illkirch Graffenstaden, près de Strasbourg. Un autre rêve réalisé : transmettre son savoir et ses savoir-faire.