Marc Veyrat - L’Auberge de l’Eridan

La Ferme de mon père, Mégève

« LA TABLE, C'EST TRÈS SPIRITUEL »

C’est un nom très connu. Celui du seul chef français (du monde ?) à avoir obtenu deux fois trois étoiles au Michelin, et deux fois 20/20 au Gault et Millau. Une rock star de la gastronomie. Quand on le prononce, l’image d’un homme à lunettes portant un grand chapeau noir se présente. Marc Veyrat est un chef très fier de son terroir et de la richesse des cultures de son pays. Il est né en Haute-Savoie et a grandi à Manigod, un village de 500 âmes, héritant d’un patronyme porté par onze générations de paysans haut-savoyards avant lui.

 

Pendant son enfance, Marc voit sa mère et son grand-père créer des chambres d’hôtes pour les chasseurs dans la ferme. Cela le pousse à s’intéresser à l’art de recevoir et de cuisiner. Quand vient l’âge de choisir un métier, Marc Veyrat se dirige vers une école hôtelière. Mais étant d’un tempérament rebelle, il ne parvient pas à se discipliner et est renvoyé de l’établissement au bout d’un trimestre. Qu’à cela ne tienne ! Le jeune homme retourne dans la ferme de ses parents. Il y élève les moutons et complète ses activités l’hiver en enseignant le ski.

  

   

 

Dix ans après ce retour aux sources, Marc décide de lancer son propre restaurant. Pendant ces quelques années passées comme berger, il en a profité pour apprendre, en autodidacte, les techniques de cuisine qu’il aurait dû découvrir à l’école hôtelière. En 1976, il ouvre un bistrot au col de la Croix Fry, près de Manigod. Son objectif est de laisser s’exprimer sa créativité, dans le respect de la nature des produits. « Ma grande force est d’avoir grandi dans une famille d’agriculteurs. Je faisais tout, de la production à la cuisine.


Mon premier plat, c’est un ravioli de légumes avec navets et berce », se rappelle-t-il, avant de préciser que la berce est une herbe sauvage qu’il allait cueillir lui-même comme toutes les autres plantes aromatiques utilisées dans sa cuisineEn 1983, il saisit une occasion de se consacrer uniquement à la cuisine : il vend son auberge et ses moutons et rachète une villa à Annecy. En seulement quatre ans, le chef autodidacte obtient deux étoiles. Il est rapidement nommé chef de l’année et décroche la note impressionnante de 19,5/20 au Gault et Millau. Ensuite, tout s’enchaîne. Marc Veyrat revend sa villa d’Annecy pour aller s’installer un peu plus à l’écart de la ville, à Veyrier-du-Lac. C’est là qu’il bâtit son Auberge de l’Eridan, qui deviendra par la suite la Maison de Marc Veyrat.
 
 

La Ferme de mon père est créée un peu plus tard à Megève. Son nom résume à la perfection l’idée qui est celle de Marc : reconstituer une réplique de la ferme dans laquelle il a grandi, avec restaurant et neuf chambres d’hôtes. Il lui faudra deux ans seulement pour voir ce deuxième établissement décoré de trois macarons au guide Michelin

Avec les années, Marc Veyrat a gagné des titres inégalés de la plupart des chefs : il est le premier à obtenir deux fois trois étoiles au guide Michelin, d’abord à l’Auberge de l’Eridan puis à la Ferme de mon père. S’y ajoutent des notes excellentes au Gault et Millau : en 2003, le guide qui l’a consacré Toque de l’année trois ans plus tôt évalue sa cuisine à 20/20 aussi bien à l’Auberge de l’Eridan qu’à la Ferme de mon père. Non content d’être le seul chef français à avoir obtenu la note maximale, il peut en outre se targuer de l’avoir reçue la même année pour ses deux établissements.

 

Pour résumer sa cuisine, le chef déclare simplement : « C’est très contemporain, végétal, minéral. » Depuis ses débuts, Marc Veyrat souhaite promouvoir la cuisine aux herbes sauvages. Il s’associe pour cela à l’ethnobotaniste François Couplan, avec lequel il coécrit L’Herbier gourmand puis La Cuisine paysanne.

 

Lui qui vit dans une ferme des Alpes à 1800 mètres d’altitude a également un appartement à Paris et un pied à terre à Annecy. Il a beau chercher à cuisiner en accord avec la nature, cela ne signifie pas pour lui qu’il faille tout sacrifier à la tradition et au côté rustique.

 

En 2007, il développe un nouveau concept dans son restaurant de Megève. Marc Veyrat décide de placer la cuisine au centre du restaurant. Pour assurer la communication entre les fourneaux et la salle, le chef investit dans des oreillettes. Des écrans plasma sont placés dans le restaurant et la modernité s’invite aussi dans les assiettes : Marc se lance dans la cuisson à l’azote, alias cuisine moléculaire.

 

La ligne de conduite reste cependant le respect de la nature. En 2010, Marc Veyrat dépose un permis de construire pour un hôtel restaurant bio et écologiquement responsable. Le but : diriger un établissement qui puisse se développer en quasi autarcie, grâce aux énergies renouvelables, au tri sélectif et à un jardin pour faire pousser les herbes aromatiques.

 

 

 

Avant même l’ouverture de cette nouvelle maison, Marc Veyrat met un point d’honneur à ne servir que des produits issus de techniques respectant l’environnement. Dans ses deux restaurants, tous les aliments sont issus de l’agriculture biologique. Symbole de cette synthèse entre nature et modernité, Marc Veyrat a lancé en 2009 un fast-food 100% bio, Cozna Vera, dont une ouverture prochaine est prévue à Bruxelles. Car si Marc Veyrat s’est retiré des grands restaurants, il a su les confier à de bonnes mains respectueuses de sa vision de la cuisine. La Nouvelle maison de Marc Veyrat, à Veyrier-du-Lac, est dirigée par le chef Yoann Conte. Ancien second du cuisinier au chapeau, Yoann Conte a aussi travaillé avec Emmanuel Renaut du restaurant Flocons de sel (à Valence), lui-même ancien élève de Marc Veyrat.

 

Beaucoup de jeunes chefs sont passés par les cuisines de Marc : Jean Sulpice, chef de l’Oxalis à Val Thorens. « C’est pour moi un trois étoiles en puissance », confie le chef haut-savoyard. Puis il ajoute : « Tous mes élèves sont des trois étoiles en puissance. » Edouard Loubet, de la Bastide de Capelongue, à Bonnieux (dans le Vaucluse), est l’un d’eux. Il a déjà deux étoiles au Michelin.

 

Si Marc Veyrat n’est plus chef aujourd’hui, son nom est pour toujours associé à une tendance de la cuisine française. Une tendance qui cherche non seulement à imposer le respect de la nature mais aussi à faire triompher les différents terroirs. « Pour choisir une bonne table, il faut choisir l’homme, avant le produit. C’est l’homme qui a une identité : celle de la région », affirme-t-il.

 

Et de conclure en évoquant les fantastiques pouvoirs d’une bonne cuisine. Marc Veyrat raconte avoir grandi entour d’un oncle curé, d’une nonne et d’un grand-père communiste et anticlérical. « Pendant le repas, on se respectait tous et c’était le seul endroit où l’on se réunissait comme ça. La table, c’est la paix divine. C’est très spirituel. »